Qu’entend-on par « politiques sociales » ? La réponse à cette question pose les mêmes difficultés que la définition de l’État-providence. Définition large et définition restreinte peuvent encore être opposées et cette ambiguïté de la notion se reflète dans la diversité des choix scientifiques et pédagogiques faits par les auteurs d’ouvrages traitant de cette matière.
La définition restreinte des politiques sociales se focalise sur les dispositifs de protection sociale et notamment sur les quatre branches de la sécurité sociale : santé, vieillesse, famille, chômage 1.
La définition large étend considérablement le domaine étudié au titre des politiques sociales :
- Ainsi le Traité du social 2 intègre en plus de ce qui précède les politiques du travail (relations professionnelles et conditions de travail), les politiques de la consommation (compléter tableau début de partie), les politiques de l’éducation (formation initiale et formation continue), les politiques du cadre de vie (politiques du logement + politiques de la ville + vie associative et culturelle) et les politiques relatives aux étrangers.
- Un autre traité (par sa taille) de fabrication plus récente, celui de Marie-Thérèse Join-Lambert et al. 3 intègre les politiques du travail (/ code du travail) (Chapitre 5), les politiques de formation professionnelle continue (Chapitre 9), les politiques de lutte contre la pauvreté (Chapitre 18), les politiques d’intégration des populations immigrées (Chapitre 19) et la politique des villes (Chapitre 20).
En cohérence avec l’ensemble de ce cours et des analyses présentées en début de partie, nous raisonnerons à partir d’une définition large et qui peut-être élargie encore à d’autres domaines tels que les politiques d’environnement. Néanmoins, comme pour les politiques économiques, l’objet du cours n’est pas d’entrer dans l’étude technique des dispositifs juridiques et administratifs de toutes ces politiques publiques. Il s’agit davantage de comprendre la logique générale et actuelle de l’État-providence dans ces domaines, et de bien comprendre aussi comment s’articulent les politiques et les politiques sociales pour préparer la réflexion sur les mutations actuelles de l’État-providence.
Du point de vue de leurs finalités officielles, l’articulation pourrait aller de soi : les deux logiques d’action publique ont pour finalité de garantir le bien-être des citoyens, la meilleure satisfaction possible de leurs besoins. Dès lors, la recherche par l’État du bien-être économique des citoyens devrait s’accompagner d’une amélioration de leur bien-être social. Notamment, l’augmentation du produit intérieur par habitant devrait assurer l’amélioration des conditions et de la qualité de vie des citoyens.
Pourtant les deux types de politiques publiques restent distincts et l’histoire économique et sociale nous enseigne que leur compatibilité n’a rien d’évidente. Les politiques sociales se développent d’ailleurs dans une période de croissance économique soutenue (les « Trente glorieuses », Jean Fourastié) et sont remises en question dans une phase de ralentissement économique (la crise des trois dernières décennies). On le voit, les politiques sociales sont dépendantes, notamment pour leur financement, des conjonctures économiques. Cependant la relation classiquement affichée (variation du taux de croissance -> variations des recettes publiques -> variations des prestations sociales), séduisante par sa simplicité, ne doit pas occulter l’existence de marges de manœuvres. Cette équation intègre implicitement des choix de politique économique dont à vue précédemment le caractère éminemment politique (Cf. Sous-section - Les finalités des politiques sociales face à l’économie).
D’autre part, l’articulation des politiques économiques et sociales est d’autant moins évidente que l’action de l’État est découpée en une multiplicité de secteurs de politiques publiques. Chaque secteur est pris en charge par des administrations spécifiques et implique l’intervention d’acteurs différents. Cette fragmentation crée des frontières au sein de l’appareil d’État. Chaque secteur acquiert une certaine autonomie et tend à préserver son domaine de compétences ainsi qu’à défendre les intérêts du milieu social qu’il représente (ministère de l’industrie pour les industriels, ministère de l’agriculture pour les agriculteurs...). Au sein de chaque secteur se développe ainsi une logique d’action et une rationalité propre qui freinent d’autant la collaboration inter-sectorielle (ex. : la logique du ministère des Finances est différente de celle du ministère de environnementale, et au sein de celui-ci, celle de la DPPR est différente de celle de la DE ). Dans ces conditions le rapprochement entre les politiques économiques et sociales et les administrations qui les conduisent est difficile (NB : rôle de la planification !) (Cf. Sous-section - Les acteurs des politiques sociales (ou de la protection sociale ?).
Jérôme VALLUY‚ « Introduction - Section - Les politiques sociales contre les objectifs économiques ? »‚ in Transformations des États démocratiques industrialisés - TEDI - Version au 3 mai 2023‚ identifiant de la publication au format Web : 133