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Humanités numériques : hybrider l’informatique et les sciences humaines

Syntec Numérique a publié une étude (1) très détaillée sur les besoins en compétences et en recrutement dans le secteur des métiers informatiques et numériques à l’horizon 2018. Jérôme Valluy, chercheur en sociologie du numérique (Paris 1/Costech-UTC), détaille les apports de cette étude et ses implications pour les « humanités numériques ».

Humanités numériques : hybrider l’informatique et les sciences humaines

 

Quels sont les principaux apports de l’étude de Syntec Numérique ?

Cette étude présente une cartographie des métiers, compare leurs évolutions, les créations d’emplois et les offres de formations. Sur les 36 000 créations d’emplois anticipées sur les cinq prochaines années dans les secteurs informatique et numérique, une part croissante, aujourd’hui majoritaire (20 000), relève du numérique : web designer, community manager, développeur web et mobile, analyste big data, architecte cloud computing, analyste cybersécurité, consultant référencement, etc. Les compétences relatives aux interactions de l’informatique avec l’environnement humain et socio-économique deviennent indispensables aux salariés pour évoluer à partir de leurs métiers actuels. Il leur faut désormais comprendre les usages sociaux des technologies, les clients et les secteurs d’applications, les réseaux sociaux, les communautés virtuelles, maîtriser les nouveaux médias, la sociologie du web, l’analyse de données, les qualités rédactionnelles et éditoriales ainsi que le vocabulaire propres au web, l’évolution du management et du marketing dans l’environnement web, l’interdisciplinarité…

 

En quoi cette étude relance-t-elle le débat sur les humanités numériques ?

L’étude confirme le besoin de doubles compétences et de formations mixtes en informatique et sciences humaines. L’informatique classique est demandée, mais en proportion décroissante dans les nouveaux emplois créés. Le numérique se développe en faisant appel aux données, méthodes et réflexivités numériques des sciences humaines, ainsi qu’à l’interprétation des big data nécessitant des formations en « humanités numériques ».

 

Comment définir ces humanités numériques et leurs enjeux ?

Le cadre a d’autant plus de succès que son contenu est imprécis. Les premières définitions deviennent marginales face à l’ampleur des convergences actuelles, tant au niveau international que français : les « humanités numériques » prospèrent dans le monde, elles constituent un axe majeur d’harmonisation européenne, les politiques publiques françaises se montrent très volontaristes dans ce domaine et elles foisonnent dans les appels d’offres au niveau des communautés d’universités, aussi bien en recherche qu’en formation. En se diffusant, cette catégorie s’ouvre : cela aide à son succès – chacun y plaçant ce qu’il sait faire – tout en suscitant des reconfigurations et des adaptations.

 

Quelles sont les attentes des entreprises sur ce sujet ?

La connaissance des utilisateurs est primordiale. L’étude précitée ainsi que les débats de la journée UTC-Conférence des présidents d’université du 31 janvier 2014 portant sur « Innovation numérique et créativité » (2) valorisent ce point : caractéristiques, perceptions, habitudes, besoins… Cela fait appel à des compétences en sciences humaines. Les services publics aussi peinent à financer des innovations à faible taux d’utilisation. Même s’il n’y a pas que ces attentes qui comptent en recherche et formation, la création technologique gagne à être fondée sur la connaissance de l’utilisateur. Cela ne réduit pas la libre créativité, mais l’incite à s’orienter en fonction du reste du monde (utilisateurs, citoyens, consommateurs, usagers…).

 

Quels sont les défis posés pour la formation par les humanités numériques ? Comment s’inscrit l’UTC sur ce point ?

Le défi est celui de l’hybridation de l’informatique et des humanités. Dans presque tous les établissements, ces matières sont disjointes. Les universités de technologies disposent d’un gros avantage : depuis des décennies, l’informatique y dialogue avec les sciences humaines. La synergie des domaines est un atout à valoriser par des adaptations d’intitulés, ainsi que par la création d’une filière intégrée, de la 1re année de formation des ingénieurs jusqu’au doctorat. À l’UTC, le département « Technologies et sciences de l’homme », qui relie humanités numériques et épistémologie de la technique depuis longtemps, entreprend d’impulser ce qui pourrait devenir une filière valorisant toutes les composantes et les nombreux partenaires concernés au sein de l’UTC. L’ouverture en 2012 d’une section UTC en « humanités et technologie » a été anticipatrice. Un master intégrant les « humanités numériques », avec une filière recherche, en partenariat avec d’autres UT serait attractif et susciterait des vocations en doctorat. Une filière intégrée en « humanités numériques », associée à des centres de recherche spécialisés depuis longtemps et à une plateforme d’édition numérique, écrite et audiovisuelle, reliée aux lycées, ainsi qu’à des cycles de formation continue, offrirait aux bacheliers, étudiants et salariés un cadre d’accueil unique en France, pouvant être réalisé ici plus vite que partout ailleurs.

(1) Contrat d’études prospectives du secteur professionnel du numérique, 21 août 2013, 189 p. : http://www.syntec-numerique.fr/site 

(2) UTC et CPU, « Innovation numérique et créativité », séminaire du 31 janvier 2014, Compiègne : http://interactions.utc.fr/seminaire