Les champs de l’architecture et de l’urbanisme s’arrangent mal du temporaire. Construire un bâtiment, une ville a longtemps rimé avec bâtir pour l’éternité. L’invention du patrimoine n’est pas étrangère à ce sentiment et peut parfois révéler une grande complexité définitionnelle mêlant la référence historique au mythe [1]. L’ancrage, l’inscription des existences dans l’espace et dans le temps, faire territoire en quelque sorte, ont également répondu à ce qui, très tôt, a été ressenti comme une nécessité : sortir de l’errance, maîtriser son environnement pour ne plus le subir totalement, et ne plus exclusivement s’en remettre à quelque diktat, fût-il céleste. L’éphémère en architecture dispose toutefois de sources bien plus anciennes que les premières tentatives « iconoclastes » observées dès les années 1930 ou que les expériences plus décisives menées dans les années 1960. L’événement théâtral, la fête, donc l’exceptionnel, le provisoire, ont dès l’Antiquité conduit à imaginer par l’éphémère une architecture adaptée [2]. Aujourd’hui, comme hier donc, cette recherche de permanence vacille parfois.
En matière de logement, l’homme investit le temporaire soit parce que la nature l’y contraint en venant à bout de ce qui avait été posé pour durer (catastrophes naturelles), soit parce que les modes de vie l’y obligent (lieu de travail toujours plus à distance du lieu de résidence), soit parce qu’un parcours de vie l’y conduit ou plus simplement parce qu’il en fait volontairement le choix pour satisfaire un cheminement personnel qui peut être diversement motivé ; les fins étant dans ce dernier cas esthétiques ou associées à une performance. Bien entendu, le temporaire prend tout son sens avec l’expression d’une précarité sociale qui interdit de se fixer. Pour autant, le besoin d’assigner les individus et les groupes, de faire société, reste la règle et pourrait demain se renforcer si l’on considère que les temps de la grande mobilité vont rencontrer leurs limites (épuisement des énergies fossiles notamment) ; fixer, assigner disent par ailleurs une des conditions du maintien de l’ordre public.
La catégorie du temporaire, en architecture comme en matière de logement [3], repose sur une suite de notions [4], bien souvent utilisées les unes pour les autres, qui, si l’on y prête attention, entrent en résonance avec cinq types de situations qui posent le large périmètre d’intelligibilité de la notion, autorisant un très grand écart : du mobile à l’écologique.
Premièrement, des situations sociales peuvent témoigner d’une exclusion choisie ou subie. Mise à l’écart choisie pour l’expérience ; exclusion subie suite à une trajectoire personnelle incontrôlée : ici, c’est moins la structure d’accueil dans sa composition formelle qui est temporaire que la situation de celui qui y est accueilli.
Deuxièmement, les « situations esthétiques » désignent la recherche d’une forme de performance du ou dans le temporaire. Les conditions offertes par ce contexte hors-norme, déconnectées des temporalités et spatialités communes, autorisent l’expérience des corps, des statuts, des catégories, des pratiques, de l’hospitalité, de la tolérance, de la solidarité, etc. L’exposition de soi dans l’espace public, notamment, vaut d’une certaine façon provocation, interpellation de l’autre, mise en danger.
Troisièmement, l’extraordinaire de certaines situations insiste clairement sur l’urgence après la catastrophe (épisode climatique, guerre), c’est-à-dire un événement non totalement prévisible (du moins dans ses conséquences). Il s’agit-là d’un champ clairement identifié qui fait l’objet de réponses structurées, notamment en ce qui concerne la mise à l’abri rapide des personnes touchées. L’architecture [5] apporte sa contribution.
Quatrièmement, l’imprévu peut être anticipé. Le recoupement avec la situation précédente est possible, mais ne peut s’y réduire puisque l’anticipation de solutions d’habitat temporaire peut s’imaginer ailleurs que dans la catastrophe [6].
Cinquièmement, des situations de nécessité économique ou technique imposent le recours au temporaire dans l’une des formes qu’il peut prendre pour des raisons de coût ou de contraintes matérielles.
L’ensemble de ces situations renvoie à des réponses possibles portées et mises en œuvre par des acteurs différents : les professionnels de l’architecture, de l’aménagement et de l’urbanisme qui mettent en avant les dimensions techniques, technologiques et écologiques notamment, les designers, les artistes, d’autres professionnels, de l’accueil par exemple, les usagers eux-mêmes. Ces réponses nourrissent un ou des imaginaire(s) de l’habiter qui interroge(nt) le rapport historique de l’homme à l’espace, aux lieux, au territoire.
Ces situations, les questions qu’elles posent, les réponses qu’elles suscitent, conduisent à l’émergence de figures de l’habitat temporaire — habitat qui par définition ne se réduit pas au logement — qui réinterrogent le statut même du temporaire, du provisoire, du mobile, etc. comme pour souligner la vivacité des temps postmodernes à propos desquels il semble important d’apprécier la cohérence et le sens donnés aux formes et aux usages observables dans les sociétés occidentales actuelles. Quelles sont les logiques à l’œuvre ? S’agit-il de strictes logiques internes ou bien disent-elles autre chose ? Quelle peut être la nature de leur éventuelle portée critique ?
Ce texte expose les fruits du premier temps d’une recherche personnelle qui ambitionne de sonder les qualités et le sens de l’habitat temporaire dans son rapport à l’architecture et au regard de l’imaginaire de l’habiter qu’il nourrit. Cette étape inaugure la recherche par une première analyse critique d’une somme d’objets collectés [7], qui a conduit à identifier huit figures.
Le « mobile » à demeure : la bohème ?
Deux anecdotes introduisent la première de ces figures.
La première version de l’affiche du colloque « Actualité de l’habitat temporaire » a fait l’objet d’une autocensure. L’image produite — une roulotte sédentarisée — pouvait « choquer », du moins être caricaturale et donc reléguer au second plan des questions sociales impérieuses qui ne supportent pas la réduction. Le champ investi présente donc de multiples facettes qui ne s’excluent pas mutuellement du seul fait qu’elles ne dialoguent pas systématiquement entre elles. Il s’agit là d’un postulat.
Autre élément avancé en préambule : une offre relevée dans une rubrique de petites annonces de la presse quotidienne intitulée « atypiques ».
Ici, « l’adorable cabane en bois » que l’on veut nous vendre tiendrait à distance de la norme qui s’impose au quotidien et qui ne garantirait pas une forme de quiétude. Avec un confort inégalé pour une cabane et un environnement exceptionnel permettant de renouer avec la nature, il est proposé de « décompresser ». L’occasion est donnée de s’offrir clé en main l’habitat très temporaire que beaucoup, alors enfants, ont rêvé et parfois réalisé tant bien que mal. Il y a dans cette approche d’une figure largement partagée du temporaire (la cabane) l’expression dévoyée de la recherche d’un coin à soi déconnecté du monde.
Expression dévoyée car, outre le fait que la cabane n’a de la cabane que le nom, il manque sans doute un peu de soi et une part d’imaginaire que certains projets [8] très élaborés ou simples propositions recherchent et parviennent malgré tout à intégrer (la cabane dans les arbres [9]) sans pour autant nécessairement toujours convaincre, notamment de leur caractère provisoire [10].
La première analyse des objets récoltés a rapidement conduit à signaler la nécessité de fixer en un lieu des objets incarnant la mobilité, donc la « non permanence », et d’associer à ces objets, au statut finalement contrarié, l’idée d’une vie de bohème, c’est-à-dire une vie déréglée, dans l’insouciance et le mépris des usages établis [...] sans feu ni lieu
[11] en quelque sorte, à l’image d’une tribu errante. Il y a là une première contradiction qui interroge directement le modèle d’habiter proposé avec les roulottes [12] dépossédées de leur principal attribut : être mobile, parcourir le monde pour mieux l’habiter. L’aspiration est très particulière : jouir de l’imaginaire porté par le mode de vie qu’il favorise, mais repousser ce qui devient une contrainte, c’est-à-dire tout à la fois se donner les moyens de se déplacer (un attelage à gérer) et renoncer à une attache, à un lieu, celui du chez-soi, de la demeure. Cela interroge d’autant plus que ce sont des lieux bien souvent dédiés aux vacanciers comme si l’attache au chez soi et le refus de l’ailleurs guidaient les choix. Mais, l’étonnement se poursuit avec une offre complémentaire, pour les plus aventuriers : les roulottes « mobiles ». Le séjour renoue alors avec l’esprit premier initialement détourné et donne à cette option un caractère exceptionnel alors que l’on ne fait que revenir au bon sens.
Cette figure du temporaire est étonnamment paradoxale. Elle dispose toutefois d’une traduction remarquable dans la ville belge de Louvain-La-Neuve. En effet, l’expérience grandeur nature sise dans le quartier de la Baraque [13] trouve ses racines dans la lutte menée en ce lieu précis au tournant des années 1960 alors que la construction en pleine campagne de la ville nouvelle (Louvain-La-Neuve) se préparait. Aujourd’hui, la Baraque fait figure de quartier d’habitat alternatif ayant mis à demeure nombre d’objets dont la vocation première se joue pourtant dans la mobilité immédiate ou le démontable/transportable qu’incarne la yourte [14].
Le temporaire comme défi
Le temporaire peut se perdre dans le permanent. Il peut également — et l’actualité récente en témoigne — se frotter à quelques contraintes ; c’est notre deuxième figure. Ici la première Yourte RT 2012 [15] — c’est-à-dire répondant aux exigences de la réglementation thermique de 2012 — semble expliquer que le temporaire ne peut faire l’économie de certaines exigences sociétales.
Ensuite, avec cette Tiny House [16] (petite maison), l’enjeu est plus personnel : l’attachement à la maison. Mais l’ancrage au sol n’est plus requis. Le choix de la caravane est différent car un mode d’habiter bien différent s’affirme. La maison miniature sur roues permet de conserver un rapport premier à la maison et aux espaces qui la composent tout en bénéficiant de la possibilité de la déplacer et de l’installer en d’autres lieux. La mobilisation sociale de cet objet à des fins de solidarité [17] offre en quelque sorte au sans domicile fixe la possibilité de renouer avec un chez-soi.
Un autre exemple (Nomad [18]), au nom curieusement prédestiné, crée les conditions idéales de vie pour deux personnes sur une surface limitée (3x3). Tout semble indiquer que le déplacement de la maison est facile ou que son installation peut se faire en tout lieu. Mais l’enjeu est ailleurs : la composition optimale d’un espace intérieur minimal [19]. Ce peut être une contrainte que la vie impose et qui nécessite une stratégie d’organisation et une certaine maîtrise dans l’optimisation des lieux, mais ce peut-être également une règle que l’on s’impose dans la mise en œuvre d’un projet.
De grands architectes relèvent également le défi du temporaire. Richard Rogers fait la démonstration que l’on peut construire un immeuble en une journée à moindre coût et selon des principes et procédés novateurs [20]. Un immeuble dont la vocation serait de durer, d’être fixé en un lieu, et qui, par défi, s’inscrit dans le temporaire à des fins de démonstration, de pédagogie, de mise en visibilité d’un champ des possibles en architecture pour apporter des réponses à quelques questions récurrentes de logement.
Le temporaire à l’épreuve du défi se joue aussi dès lors que les conditions climatiques changent la donne. À Amsterdam, des maisons flottantes [21] (et non des bateaux ou péniches) participent à la formation d’un nouveau quartier sur un site gagné sur la mer. Ces maisons n’ont pas vocation à naviguer, mais à supporter, le cas échéant, une montée des eaux. Les solutions d’habitat temporaire se mettent au service du projet urbain.
Des propositions plus expérimentales se placent également dans cette perspective en ramenant l’unité de base de la construction au tout : le module (la capsule [22]) reproduit et assemblé conduit à l’unité d’habitation rassemblant toutes les fonctions, et sa multiplication à l’opération d’ensemble. De même, avec la Nagakin Capsule Tower [23] (1972, Tokyo) de l’architecte « métaboliste » Kisho Kurokawa, la question du temporaire n’est plus réellement posée (si ce n’est par la menace de destruction [24] de l’immeuble vieillissant) et c’est davantage celle des surfaces minimales aménagées qui s’affiche.
Du provisoire au durable, du rudimentaire au plus confortable
La volonté de passer du provisoire au plus durable et du rudimentaire au plus confortable offre une nouvelle figure. Le container, bien connu, présentait il y a peu (2013) une actualité avec le concours « Container Vacation House [25] ».
Le but de ce concours international est de concevoir une maison de vacances à coté de la plage de Bondi, à Sydney, en utilisant des containers recyclés. Ce concours espère atteindre notamment l’objectif suivant : encourager et récompenser la conception intégrant la fonction, la structure, les détails et l’esprit des maisons des bords de mer.
Un objet de la mobilité, de l’assemblage massif comme le container, présent dans les ports, aurait donc mérité de finir sa vie sur une plage, en villégiature, assigné à résidence en quelque sorte. On touche là à la forme paroxystique d’un phénomène [26] déjà bien engagé.
Avec la Hom’Box [27], empruntant aux bases de chantier, l’argument de vente insiste sur l’adaptation de cette solution d’habitat temporaire à tout type de terrain et de situation : de la « catastrophe naturelle à l’événementiel » nous dit-on explicitement. L’objet parfait en capacité de fournir des réponses à des situations aussi contrastées.
Le système constructif Algeco [28] peut donner lieu à des projets d’habitat permanent. Les architectes parisiens de SOA [29] proposent en 2005 un lotissement de maisons individuelles en bande de 16 maisons correspondant au prototype exposé cour des Beaux-Arts (Paris, VIe).
L’esprit « collector » : faire vivre et revivre le temporaire
Il s’agit là de mettre en lumière deux idées : d’une part, celle de mise sous cloche en un geste patrimonial d’objets et de modes d’existence et d’être au monde dépassés, ou a minima moins opérants aujourd’hui qu’hier. On retrouve cette figure particulièrement bien incarnée dans Yes We Camp, la manifestation organisée dans le cadre de Marseille Provence 2013 [30]. Le journal Le Parisien titre : « Le succès du camping éphémère [31] ». Le projet est présenté en ces termes :
Camping alternatif et expérimental, mêlant écologie et architectures performatives, construit sur les quais de l’Estaque.
Cependant, plus loin, on peut lire :
Yes We Camp Marseille 2013 est conçu comme un village, avec sa place centrale, ses petits recoins, les lieux plus privatifs et ceux où l’on se retrouve, ses espaces de travail, d’échange, et son totem. L’idée est d’entremêler dans un même espace des équipements différents et créant ainsi une diversité des usages et des publics.
Il sera donc utile de décrypter ce dispositif tant en ce qui concerne les installations comme le Hameau de caravane [32], que les équipements comme le lieu de projection de films (Cinémanouche [33]) ou les modes d’hébergement.
À l’initiative des animateurs de Yes We Camp, mais pas seulement, on retrouve cet esprit collector sur le site internet Pinterest [34], plateforme/réseau de partage d’affinités sous forme de photographies. Bien évidemment le temporaire s’inscrit dans la durée et formule un modèle original associant établissement permanent d’une communauté et modes d’habiter habituellement provisoires ou éphémères.
Enfin, cette figure peut présenter une toute autre motivation. Renzo Piano offre Diogène [35] au Vitra Campus en Suisse qui rassemble notamment des œuvres de grands architectes [36].
L’architecte parle de lieu de retrait volontaire et le rapprochement avec le cabanon de Le Corbusier est fréquent [37]. L’ambiance monacale favorise la prise de distance avec un monde tout autre. Avec ce dernier exemple, cette figure renvoyant à l’objet collector, à la collection, au musée, dit la volonté de mettre en lumière l’expression, désormais rare et/ou originale, d’un temporaire qui a marqué ou qui marquera son temps car ayant réussi à incarner un état d’esprit, une posture, une condition.
Le non sens, l’insensé, le contre-sens
Le non sens, l’insensé, le contre sens semblent parfois l’emporter. Un hôtel à Berlin, le Hütten Palast [38], propose, outre des chambres classiques, deux autres formules : la caravane et la cabine. Chose remarquable, ces caravanes et ces cabines sont installées dans le bâtiment de l’institution.
Avec cet exemple comme avec d’autres [39], on renoue avec l’idée de l’objet rare mis sous cloche, mais cette fois dans le sens premier du terme c’est-à-dire enfermé, déraisonné, objectivé pourrait-on dire. On se situe là tout à la fois dans le non sens — c’est-à-dire l’absence de sens ou alors l’absurde —, dans l’insensé — autrement dit contre le bon sens — voire dans le contre sens ou l’erreur, pour au final un habitat et un « habiter » se jouant doublement du temporaire : d’abord en en appelant à l’expérience ponctuelle d’une situation curieuse, ensuite en procédant à l’enfermement et à l’ancrage définitif du temporaire, incarné par ces objets, dans un cadre rigide, fixe et définitif.
Rendre durables des situations temporaires ou permettre le temporaire
La sixième figure ironique s’inscrit, comme Diogène de Renzo Piano, dans l’habitat minimal et la volonté de rendre durable des situations temporaires, cette fois non nécessairement choisies, ou autrement dit permettre le temporaire dès lors qu’il devient la seule voie possible. Un artiste américain a notamment travaillé à partir de cette énorme poubelle collective, la Dumpster (du nom du principal fabriquant de ce type de contenant) [40]. Quand on n’a plus rien, quand il n’y a plus rien, il reste les déchets et on les habite. C’est une réalité qui s’affirme aujourd’hui avec ce projet.
Le groupe Échelle Inconnue [41] a réalisé pour le bidonville rom du Havre, des toilettes sèches qui se présentent sous la forme d’un kit à monter où que l’on se trouve [42]. Ou encore l’initiative MOBIL’douche dont le camion parcourt l’Est parisien à la rencontre d’un public de sans domicile fixe [43]. Avec ces exemples et d’autres [44] qui renvoient à des situations assez différentes, on touche à la question, finalement peu traitée, rarement prise au sérieux, des conditions qui rendent le temporaire possible, qu’il soit subi ou recherché.
Lorsqu’il ne s’agit pas d’évoquer les besoins premiers, la réalité de l’habitat et de l’habiter temporaires est beaucoup plus riche, mais elle sait tomber assez vite dans le gadget ou la vie « Playmobil ».
La vie Playmobil
Les cas ne manquent pas : le point de vente temporaire Coca bCola à la gare Montparnasse et ses versions minimalistes [45], des éléments de bibliothèque de rue à Marseille, une salle de réunion mobile à Londres, une salle de théâtre temporaire le temps de la réhabilitation du théâtre de la ville d’Annecy [46], ou, pour terminer, un lieu d’exposition (Mobile Art [47]) conçu par une architecte de renommée internationale (Zaha Hadid) qui a voyagé dans le monde entier avant de trouver un lieu d’attache plus définitif. Il y a donc parfois, pour penser le temporaire et en faire un mode hautement apprécié, recommandé, valorisable, des moyens qui semblent sans limite. Dès lors que le banal, l’ordinaire pousse de gré ou de force vers le temporaire, la visibilité est moins grande et les certitudes se font rares. Il y a cependant avec cette avant-dernière figure la possibilité d’en venir à la question de l’espace public, de son aménagement et de notre présence en son sein.
Habiter l’espace public (ludifier) : l’inattendu pour renouveler les pratiques
Depuis quelques temps déjà la ludification de l’espace public désigne un nouveau regard sur les usages et pratiques motivé par l’introduction dans ces espaces, par leur aménagement complémentaire ou initial, de dispositifs « interrogateurs », reconfigurateurs du cadre donné à nos pratiques. Les formes prises sont nombreuses et diverses. Tout autant que les acteurs de ces formes. Plus globalement, deux registres animent ce champ : depuis les interventions institutionnelles, c’est-à-dire celles qui s’inscrivent dans l’ordre public et son respect, jusqu’au détournement activiste proposant un regard autre sur l’espace public et les possibles de sa pratique en dessinant parfois un ordre alternatif grâce à des outils partagés par tous mais utilisés différemment selon le contexte : le recours au graff, une intervention sur le mobilier urbain, le déploiement d’une action artistique mobilisant personnes et objets, etc. Alors la balançoire pour passer le temps dans un abribus, pourquoi pas...
... mais il est des situations du quotidien qui sans grand artifice participe de cette réflexion comme ici l’occupation par un hamac de fortune d’une ancienne cabine téléphonique désaffectée en quelque sorte ou du moins plus nécessairement utile et opérante. Ne sommes-nous pas là dans une forme de renouvellement urbain des pratiques et des lieux ?
La terrasse mobile relève de ce champ en évitant à la population d’être assignée à un lieu pour développer tel ou tel type de pratiques.
Au final, alors qu’un monde aux conditions de mobilité sérieusement revues se dessine, une forme d’ironie postmoderne l’emporte sur l’expression d’une « mobilité moderne » mise en musée, qui ne faisait pas du temporaire son principal leitmotiv. Aujourd’hui, ce qui semble se jouer avec l’affirmation d’une labilité des formes prises par le temporaire se niche davantage dans la haute critique de formes contemporaines par trop « formantes » que dans une utilité sociale de l’expérimentation de solutions techniques et technologiques — et ce malgré la promotion d’un habitat présenté comme toujours plus en phase avec les attentes de l’habitant, mais qui, en réalité, semble avoir succombé depuis longtemps aux sirènes de la technologie (du) durable. La reprise de principes propres au « temporaire » et à l’« éphémère » dans la conception architecturale et urbaine contemporaine mérite sans doute d’être examinée. L’ingéniosité manifeste des concepteurs — pour générer des espaces minimums par exemple — n’est-elle pas condamnée à être toujours plus enfermée dans la performance, l’expérimental pour l’expérimental et sa vocation communicante, plutôt que tournée vers la traduction et la diffusion de dispositifs opérationnels au service de la réalité concrète de situations se réclamant du provisoire ? Sauf à renoncer à l’architecture et à valoriser une « culture Algeco » contre une esthétique de l’éphémère.