Cette forme de légitimation politique tend à susciter l’adhésion au régime politique et tire son efficacité de la satisfaction assez générale que l’on a à se croire gouverné en fonction de principes et non sur la seule base d’intérêts, d’avantages acquis ou de rapports de forces.
La mythologie du « contrat social » invoquée pour justifier le pouvoir républicain contre les formes de légitimation dynastique, permet d’affirmer — sans autre garantie — que ce pouvoir n’est pas fondé sur la force ou le privilège de quelques uns mais découle de principes généraux, d’un idéal politique, quand bien même l’idée que les institutions découlent à l’origine de la volonté du peuple représenté par l’assemblée est nécessairement fausse (dilemme de la « Première assemblée »).
Ainsi les fêtes civiques organisées durant la Révolution française — notamment sous la période de la Convention 1 — avaient pour objet d’instruire le peuple sur les caractéristiques du nouveau pouvoir politique en exposant les « valeurs » nouvelles tenues pour légitimes : l’égalité, la fraternité, la justice, la liberté, la laïcité... Aujourd’hui, l’ensemble des commémorations républicaines rappellent la fidélité collective à des valeurs fondatrices notamment celle de la République lors du 14 juillet en France.
La cérémonie américaine du serment présidentiel qui marque l’investiture du nouveau président élu relève typiquement d’une action de légitimation politique soulignant la soumission des gouvernants aux règles de droit et notamment à la Constitution à laquelle ils doivent prêter serment de fidélité sur la Bible.
Dans les démocraties représentatives, l’importance accordé au moment électoral, dans la conquête du pouvoir politique et aux débats parlementaires dans l’exercice du pouvoir confortent l’image d’un système dirigé par les élus du peuple, quand bien même ce pouvoir est de facto détenu aussi, et parfois très largement, par des responsables non élus conseillers des ministres ou fonctionnaires de l’administration. Pourquoi a-t-on aujourd’hui tant de mal à envisager une responsabilité des conseillers ou des fonctionnaires lorsqu’il est acquis qu’ils sont, plus que leurs supérieurs élus, les auteurs réels de décisions prises ? Cela reviendrait à cesser de croire que nous sommes gouvernés par les élus et renoncer ainsi à ce que Philippe Braud appelle la mythologie du gouvernement représentatif
(Le Jardin des délices démocratiques, 1991 2).
En outre, la rationalité scientifique des décisions politiques constitue de plus en plus l’un des titres de légitimité dans l’exercice du pouvoir politique au sein de nos sociétés. La formation de la science économique censée orienter certains choix politiques, l’invention du management public réputé au service de l’action gouvernementale, l’institutionnalisation récente de l’évaluation des politiques publiques peuvent être interprétées comme l’émergence d’un nouveau mode de légitimation politique quand bien même cette rationalité se dérobe à toutes les analyses sociologiques de la décision gouvernementale et des politiques publiques.
Comme on le voit, les actions de légitimation politique sont essentiellement des actions de communication mais qui ne se réduisent pas à des discours : des cérémonies, des actes et gestes politiques, des procédures font partie de cette communication.
Jérôme VALLUY‚ « Segment - L’image d’un pouvoir accordé à des valeurs »‚ in Transformations des États démocratiques industrialisés - TEDI - Version au 9 mars 2023‚ identifiant de la publication au format Web : 40