La plus grosse partie des études réalisées sur la socialisation politique initiale (celle des enfants et des adolescents) est le produit des universités américaines. En France, les études sont peu nombreuses et l’essentiel des apports est le fruit du travail d’un auteur, Annick Percheron.
1- Les études réalisées aux États-Unis
Les premières recherches sont américaines et datent des années 1950. Elles portaient essentiellement sur la structuration sociale des attitudes politiques dès l’enfance et l’adolescence à l’égard du vote et des partis. C’est Herbert H. Hyman (Political socialization, 1959 1) qui, à partir d’enquêtes par sondages auprès d’adolescents et de jeunes adultes, met en évidence l’importance de l’apprentissage politique dans l’âge pré-adulte. La famille ne peut préparer ses membres à des événements politiques qu’elle ne saurait prévoir (la socialisation familiale ne détermine pas strictement les opinions) mais elle leur transmet des préférences partisanes fortes et durables. Dans un tel schéma, les rôles du parti et de la famille sont liés. Fidélité familiale et partisane vont de pair : le parti représente une sorte d’agent relais de la famille, fournisseur initial du cadre de référence fondamental.
David Easton et Jack Dennis (Children in the political system : origins of political legitimacy, 1969 2) analysent la socialisation politique comme l’élément clef de pérennité du système politique. Dans leur modèle, le processus de socialisation se fait en quatre étapes :
- La politisation, c’est-à-dire la sensibilisation à l’univers politique (découverte de son existence).
- La personnalisation, c’est-à-dire l’identification de quelques figures d’autorité (le président aux États-Unis).
- L’idéalisation de l’autorité politique perçue comme bienveillante ou malveillante (les bons et les méchants).
- L’institutionnalisation, c’est-à-dire la formation d’une perception impersonnelle du système politique par identification de structures institutionnelles (le Parlement, les partis...).
Dans leur analyse du système politique, la socialisation politique constitue un soutien assurant l’acceptation de l’ordre politique et de ses règles par les individus. L’essentiel n’est donc pas pour ces deux auteurs la transmission de l’identification partisane par la famille mais l’acceptation de la règle du jeu électoral et des partis comme médiateurs du système. Dans des enquêtes auprès d’enfants, ils montrent que ceux-ci affirment non seulement très majoritairement une préférence partisane, mais surtout une acceptation positive et affective du système politique, notamment à travers sa personnalisation par le président. Il faut cependant noter qu’il s’agit dans cette étude d’enfants blancs, issus de classes moyennes, dont les dispositions envers le système politique sont sans doute plus positives que dans d’autres communautés.
Pour résumer, la sociologie américaine, à la suite des travaux précédents, aboutit aux résultats suivants :
- Dès 10/11 ans, près des deux tiers des enfants affirment une préférence partisane.
- Ces préférences vont de pair avec l’attachement à un parti (ce qui va plus loin que la simple préférence).
- Les enfants développent de façon précoce une représentation personnalisée, idéalisée et favorable du système politique.
2- Les études réalisées en France
Les travaux de référence sont ceux d’Annick Percheron qui se situe dans le sillage des études de Jean Piaget sur la socialisation enfantine (Le jugement et le raisonnement chez l’enfant, 1967 3 ; Le langage et la pensée de l’enfant, 1970 4). Les études de Piaget montrent que l’enfant structure sa personnalité en s’appropriant les valeurs, les croyances, les normes et, ce faisant, se construit une représentation du monde. Cette formation n’est pas linéaire et connaît des changements. Jusqu’à environ 7 ans, l’enfant pense comme un adulte et agit comme lui ou selon ses indications. Puis, il construit avec lui une relation de coopération qui le conduit à une certaine autonomie de la conscience. Les règles jusqu’alors acceptées vont être l’objet d’une réévaluation en même temps qu’elles sont intériorisées. C’est vers 11/12 ans, l’âge « critique », que l’enfant devient capable de raisonner, d’argumenter et de mieux appréhender les connaissances et croyances acquises. Il tend alors à être moins dépendant du milieu familial et des adultes. Vers 12/13 ans, il perçoit mieux le sens des conflits.
Parmi les nombreux travaux d’Annick Percheron (« La socialisation politique » dans le Traité de Science Politique 5), son enquête de référence (L’Univers politique des enfants, 1974 6) a été réalisée en 1969/1970 auprès de 343 enfants de dix à quinze ans dans deux communes de la région parisienne, l’une de tradition centriste et l’autre à forte implantation communiste. En leur faisant associer des termes renvoyant à des concepts, à des institutions, à des qualifications et à des évaluations, Annick Percheron souligne l’hostilité des enfants vis-à-vis du vocabulaire politique à connotation conflictuelle.
- Deux registres de vocabulaire sont assimilés le plus tôt et le plus largement : les mots renvoyant à l’idée de communauté nationale (république, patrie, drapeau, liberté, égalité, fraternité, nation, État) et à des institutions (vote, élu, citoyen, démocratie) ont des indices de connaissance et de valorisation positive.
- Au contraire, on observe une faible connaissance et une forte hostilité manifestées à propos du vocabulaire social (classe sociale, capitalisme, bourgeoisie, syndicat) et du vocabulaire partisan (parti politique, modéré, extrémiste, la gauche, la droite...).
Une deuxième série d’observation est faite par Annick Percheron en rapprochant la sélection des termes par les enfants de leur origine sociale. La connaissance des termes politiques n’est pas strictement liée au niveau social des parents. Ainsi, s’agissant des 13/18 ans, 37 % des enfants d’ouvriers et 39 % des enfants de cadres supérieurs ont une « bonne » connaissance de la politique contre 36 % chez les agriculteurs. Les différences sociales apparaissent plutôt au niveau des contenus connus et valorisés : les enfants d’ouvriers acceptent mieux le vocabulaire conflictuel et en ont une meilleure connaissance que les enfants de milieux favorisés. Elles apparaissent également en ce qui concerne l’intérêt pour la politique : 50 % des enfants d’enseignants et 36 % des enfants de cadres supérieurs manifestent un fort intérêt pour la politique contre 20 % pour ceux des agriculteurs et 18 % pour ceux des ouvriers.
Enfin, Annick Percheron identifie un modèle français de socialisation politique marqué par l’identification précoce et quasi unanime à la communauté nationale et l’acceptation des valeurs républicaines.
Jérôme VALLUY‚ « Segment - Perceptions de l’univers politique par les enfants »‚ in Transformations des États démocratiques industrialisés - TEDI - Version au 3 mai 2023‚ identifiant de la publication au format Web : 26