Aux ambiguïtés du libéralisme répondent celles des premières formes de socialisme.
Saint-Simon (1760-1825) est sans doute celui qui est le plus favorable à l’intervention de l’État : l’État doit prendre en charge, sinon l’organisation de l’économie, au moins sa coordination socio-politique.
Charles Fourier (1772-1837) en revanche est beaucoup plus hostile à l’État et le rejette complètement comme base d’organisation de la société idéale qu’il imagine. Il rêve d’une société organisée à partir de liens associatifs plutôt que par l’État mais sans exclure totalement le rôle incitatif, voire contraignant, de celui-ci.
Avec Proudhon (1809-1865), qui va fortement influencer le mouvement ouvrier naissant, l’antiétatisme est radical au profit d’une défense de la liberté par recours au contrat garantissant des échanges équitables entre les contractants. La société ainsi pensée doit être une société sans autorité (anarchique) ou rien ne s’impose à l’homme sans son consentement direct.
Le mouvement ouvrier français renaissant timidement dans les années 1860 s’affirme d’abord proudhonien. En 1866, au Congrès de Genève de l’Internationale 1, le Mémoire des délégués français 2 exalte la coopération fondée sur le libre contrat comme source d’émancipation du mouvement ouvrier. Néanmoins, le proudhonisme décline vite par rapport au collectivisme dans les congrès de l’Internationale et les thèses collectivistes l’emportent en France dès le congrès de Marseille de 1879 3. Les thèses marxiennes (Le Manifeste, 1848 4) condamnant l’État bourgeois comme simple comité qui gère les affaires communes de la bourgeoisie
interdisent toute stratégie réformatrice de pression sur l’État au profit d’une finalité révolutionnaire. Une autre sensibilité apparaît avec le socialisme réformateur à l’intérieur et à l’extérieur de la SFIO 5 où il reste minoritaire : ainsi Paul Brousse prône un socialisme municipal dont l’avènement passe non pas par la révolution mais par la mise en place progressive de services publics municipaux gratuits. D’autres socialistes réformateurs, extérieurs à la SFIO, tel Millerand ou Varenne, soutiennent l’intervention de l’État dans le cadre du capitalisme et appellent de leurs vœux les nationalisations. C’est Jaurès surtout qui va ouvrir cette perspective : tout en soutenant la nécessité à terme d’une révolution, il accrédite l’idée de réformes transitoires conduites par l’État et aidant à la fois à la prise de conscience et à la formation des travailleurs.
Jérôme VALLUY‚ « Segment - Socialisme(s) »‚ in Transformations des États démocratiques industrialisés - TEDI - Version au 9 mars 2023‚ identifiant de la publication au format Web : 105