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Cette notice a été réalisée par Marie-Jeanne Rossignol dans le cadre du projet Sorbonne Paris Cité « Écrire l’histoire depuis les marges » (EHDLM).


Marie-Jeanne Rossignol

Professeure d’histoire et de civilisation américaines, Université Paris 7 Diderot, LARCA.




Références de citation

Rossignol Marie-Jeanne (2018). “William Wells Brown, du témoin à l’historien”, in Le Dantec-Lowry Hélène, Parfait Claire, Renault Matthieu, Rossignol Marie-Jeanne, Vermeren Pauline (dir.), Écrire l’histoire depuis les marges : une anthologie d’historiens africains-américains, 1855-1965, collection « SHS », Terra HN éditions, Marseille, ISBN: 979-10-95908-01-2 (http://www.shs.terra-hn-editions.org/Collection/?William-Wells-Brown-du-temo (...))

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Notice de la traduction d’Arnaud Courgey
William Wells Brown, The Negro in the American Rebellion, Boston : Lee & Shepard, 1867. Chapitre traduit : « Chapitre XV. La proclamation de libération », p. 109-123.


Introduction

Né esclave dans le Kentucky en 1814, et mort à Boston en 1884, William Wells Brown trompa en 1834 la vigilance de son maître, à l’occasion d’un passage à Cincinnati — dans l’État libre de l’Ohio 1. Des rives de l’Ohio, il rejoignit au cœur de l’hiver Cleveland à pied, sur la rive du lac Érié, d’où il pouvait facilement rejoindre le Canada libre si nécessaire 2. Il y entama progressivement une carrière de militant, tout d’abord en faveur de la « tempérance » (abstinence d’alcool, cause très puissante aux États-Unis avant la guerre de Sécession) puis abolitionniste. Ce second engagement devait occuper l’essentiel de son existence (même s’il exerça aussi comme médecin après la guerre de Sécession). À la fin de sa vie, Brown fut enterré sans que sa tombe porte son nom, et sans laisser derrière lui des papiers qu’auraient préservés des admirateurs ou une famille aimante : pour connaître sa vie, on dispose cependant de ses propres ouvrages, de la biographie qu’écrivit sa fille Joséphine alors adolescente, d’innombrables articles de journaux, et de la correspondance d’abolitionnistes célèbres. William Wells Brown fut un des premiers auteurs africains-américains professionnels, mais surtout l’un des premiers auteurs africains-américains prolifiques. À compter de la parution de son récit d’esclave (Le Récit de William Wells Brown), il ne cessa effectivement de publier recueils de chansons, romans, pièces de théâtre, récits de voyage, et histoires du peuple noir 3. C’est seulement à ce dernier aspect de son travail, déjà considérable, que cette notice s’attache.

Brown historien est un des personnages principaux de deux ouvrages récents dédiés à l’écriture de l’histoire par les Noirs américains avant la guerre de Sécession, ceux de John Ernest et Stephen G. Hall 4. Moins sévère que celle du Journal of Negro History en 1946, ou de l’auteur africain-américain Charles Chesnutt, leur opinion de Brown est complexe : en dépit d’une œuvre abondante et engagée, Brown ne fut jamais selon eux un historien professionnel, au sens où il n’écrivit jamais une histoire respectant des critères « scientifiques » tels qu’ils étaient en train d’être élaborés au XIXe siècle. Ainsi n’écrivit-il pas le genre d’ouvrage historique dans lequel on pourrait aujourd’hui avoir toute confiance : Brown faisait des erreurs historiques, se racontait et brodait parfois, sans hésiter à recourir au plagiat, un des aspects de son travail qu’un auteur récent a examiné en détail 5. L’œuvre de Brown, prise dans son ensemble, fascine cependant les critiques actuels : une nouvelle et riche biographie est parue récemment, celle d’Ezra Greenspan (William Wells Brown. An African American Life 6), qui renouvelle utilement le travail de William Edward Farrison datant de 1969 (William Wells Brown. Author and Reformer 7). De même ses récits de voyage en Europe suscitent l’intérêt 8. La diffusion actuelle de ses écrits est assurée par des anthologies publiées en anglais, celles d’Ezra Greenspan ou celle de William L. Andrews, le grand spécialiste des récits d’esclaves du XIXe siècle 9. L’anthologie la plus complète vient d’être publiée dans la collection prestigieuse « Library of America » (sorte de « Pléiade »), sous la direction d’Ezra Greenspan qui s’affirme ainsi actuellement le spécialiste le plus reconnu de Brown 10. Le texte le plus connu de Brown demeure son célèbre récit d’esclave, qui constitue de fait sa première expérience d’auteur d’une « histoire », la sienne. Face à son contemporain, l’auguste et hiératique militant noir Frederick Douglass, Brown le « trickster » (le malin, celui qui joue des tours) a aujourd’hui la faveur d’un milieu universitaire qui reconnaît dans sa posture plus modeste, ses « performances » (panoramas en Angleterre, pièces de théâtre en Amérique), voire dans ses écrits multiformes, un personnage subalterne d’abord plus facile et d’autant plus sympathique qu’il critique explicitement le système capitaliste nord-américain.

Lorsqu’on étudie Brown historien, de nombreuses questions se posent : Brown ne fut-il jamais qu’un « témoin », même à travers ses ouvrages historiques ? Et si on peut effectivement le considérer comme un « historien », en dépit de tous les problèmes posés par son travail, fut-il un historien « populaire », ou cet autodidacte tenta-t-il de s’intégrer au grand mouvement de « professionnalisation » de la science historique qui se développait, aux États-Unis comme ailleurs dans le monde occidental, dans la deuxième partie du XIXe siècle ? Enfin, Brown fut-il simplement l’historien de sa communauté, ou s’efforça-t-il toujours, par l’intermédiaire de son œuvre historique, de participer à l’histoire intellectuelle des États-Unis ?

William Wells Brown : du témoin à l’historien

Quel type d’historien fut Brown ? Quel type d’historien voulut-il être ? Sur le plan chronologique, Brown est tout d’abord le témoin du fonctionnement d’un système inhumain, et qui raconte son histoire : il apporte son témoignage à travers son récit d’esclave, comme on irait au tribunal rapporter les méfaits d’un criminel. Les abolitionnistes tenaient à ce que le public américain nordiste soit confronté à une avalanche d’anecdotes abominables, destinées à contrecarrer l’idéologie pro-esclavagiste comme à informer. En 1839, Theodore Weld, Angelina Grimké et Sarah Grimké publièrent même un ouvrage intitulé American Slavery As It Is : Testimonies of a Thousand Witnesses, où étaient rassemblées des coupures de journaux du Sud qui révélaient les atrocités pratiquées par les propriétaires d’esclaves 11. Les responsables de la publication affichaient les précautions dont ils entouraient la collecte de données afin de garantir l’authenticité de ces témoignages, essentielle pour leur entreprise 12. Annette Wieviorka a présenté dans L’Ère du témoin les hésitations des historiens, voire leur méfiance, face au témoignage comme élément d’histoire 13. Pour reprendre la terminologie de François Hartog, Brown se définit comme martus (témoin), et non un histôr (celui qui prend en compte les deux parties d’un différend 14). Contrairement aux historiens africains-américains qui lui ont succédé, comme George Washington Williams, et plus encore W. E. B. Du Bois , Brown connut l’esclavage puis entra en résistance, tout d’abord comme fugitif, puis comme abolitionniste militant professionnel. À la différence d’un contemporain comme l’historien et militant William C. Nell, né libre à Boston, il se fit donc d’abord connaître par un récit d’esclave publié en 1847, qui connut un grand succès, ce qui n’était pas le cas de tous les récits 15. Il ne cessa de le recycler au fil de ses publications ultérieures, comme le récit de voyage The American Fugitive in Europe 16 ; cette expérience d’esclave est indissociable de son œuvre historique comme on le voit au début d’un de ses ouvrages d’histoire The Black Man dont les premières pages retournent à des anecdotes de sa jeunesse d’esclave 17.

John Ernest et d’autres critiques littéraires s’interrogent aujourd’hui sur le « récit d’esclave » comme cadre de représentation possible de l’histoire de l’esclavage 18. Dans Liberation Historiography par exemple, Ernest ne voit en Brown qu’un « trickster » (joueur de tours) toujours prisonnier de sa position d’ancien esclave et d’ancien abolitionniste qu’il n’aurait pas su dépasser 19. Comme si la rédaction du récit, et les compromis inévitables qui s’y rattachent, n’avaient pas permis à Brown de s’émanciper intellectuellement ; comme si son travail n’avait constitué qu’une étape sur la voie d’une histoire africaine-américaine autonome et libre.

Mais d’autres critiques, comme William L. Andrews, et plus tard Angela Davis, ont vu dans le phénomène éditorial des récits d’esclaves nord-américains des années 1830-1860 un vrai moment de libération, un tournant. Pour Andrews, les récits des années 1830 à 1860 différent des récits précédents en ce qu’ils permettent à leurs auteurs d’exprimer « une histoire libre ». Angela Davis, en 1969, prononce deux conférences sur le Récit de Frederick Douglass, qui pour elle est une leçon de « libération », et permet de comprendre comment l’on passe de l’« aliénation » à la liberté 20. Si l’on suit ces deux auteurs, Brown n’est pas tant un témoin prisonnier de ses expériences lorsqu’il écrit ses œuvres historiques qu’un « militant » libéré par son action, un abolitionniste noir important, et cela même avant la publication de son récit. Sa qualité de martus n’en fait pas un histôr peu convaincant, simplement un historien autrement, un histôr d’un nouveau genre dont la force tient justement à sa qualité de martus, et qui ne cherchera jamais à présenter les deux parties en présence. Car l’histoire peut avoir d’autres ambitions.

Témoin et militant, Brown consacre donc tout son travail d’historien à la rédaction d’ouvrages portant sur l’histoire de la communauté noire américaine : sa production historique se compose d’un long discours sur Haïti publié en 1855, puis de trois ouvrages The Black Man, en 1863 21, The Negro in the American Rebellion, en 1867 22, et finalement en 1870, The Rising Son 23. On pourrait ainsi lire Brown comme un auteur avant tout « africain-américain », dévoué à sa communauté, et ne le lire ainsi qu’au prisme de son engagement auprès de sa « race » comme le disaient alors les Africains-Américains 24. Lorsqu’il publie la treizième édition de The Rising Son, Brown lui-même, devenu son propre éditeur, félicite la communauté noire américaine, qui, en plébiscitant son ouvrage, montre qu’elle sait apprécier les auteurs issus de sa communauté :

Douze mille exemplaires ont déjà été vendus ; et si ce chiffre peut servir d’indication pour l’avenir, nous pouvons envisager avec espoir de voir les citoyens de couleur se mettre à apprécier leurs propres auteurs 25.

Brown serait devenu un historien « noir », aurait tiré fierté de voir la communauté africaine-américaine lire ses œuvres historiques. De ce parcours, on pourrait conclure que sa carrière d’historien se résume au final à « la célébration d’une communauté d’origine plutôt qu’elle ne constituerait la recherche d’une compréhension analytique du passé 26 ». Libéré par son expérience personnelle, Brown n’aurait pas su s’élever au-delà de la solidarité qu’il ressentait envers sa communauté.

Témoin, militant, historien noir : mais comment Brown lui-même définissait-il sa position d’ « historien noir » ? Présentait-il son travail comme l’histoire d’une « communauté », seulement à destination de cette communauté ? Ce que l’on sait, c’est qu’en 1860, donc avant la rédaction de ses grands ouvrages historiques, Brown déplore que les grands historiens « blancs » délaissent la question de l’histoire de sa communauté : « L’Histoire a rejeté l’homme noir » dit-il en 1860 dans un discours ; et il ajoute, ciblant le grand historien nord-américain George Bancroft

Vous chercherez en vain chez [George] Bancroft et d’autres historiens une justice qui prenne en compte les personnes de couleur 27.

Que veut-il dire en rapprochant ainsi l’histoire et la justice dans une phrase au final assez énigmatique ? La référence à George Bancroft, qui a entamé en 1854 la rédaction d’une histoire des États-Unis en 10 volumes, comme à d’« autres historiens », révèle que Brown connaît bien le travail des premiers historiens professionnels en Amérique du nord, et plus largement la vie intellectuelle « blanche » de son époque : l’œuvre de Bancroft raconte l’irrésistible progrès d’une nation protestante et démocratique ; comme les ouvrages de son confrère Parkman, le récit qu’il propose au public justifie l’avancée blanche, le déplacement des Indiens et fait peu de cas de l’esclavage 28.

En oubliant les Noirs, remarque Brown dans la citation (« vous chercherez en vain »), les historiens blancs négligent la « justice ». Qu’entend-il par « justice qui prenne en compte les personnes de couleur » ? Probablement pas simplement l’objectivité, la critique des sources, nouvelle méthode scientiste que Bancroft se flatte d’utiliser dans l’introduction de son Histoire des États-Unis 29 : pour Brown, militant professionnel, l’histoire se doit d’être « juste » au sens finalement très moderne d’un engagement auprès de ceux que l’histoire dominante oublie, ceux qui n’ont pas la possibilité de faire entendre leur voix. En voulant rendre visible les oubliés de l’histoire, Brown confère à l’histoire une mission sociale : en cela, il est peut-être proche d’historiens romantiques de son temps comme Michelet, qui veut donner la parole aux masses, au peuple et à l’âme d’une nation à travers les pages de ses livres, même si je préfère penser que Brown a anticipé l’histoire « par le bas » des années 1960 et 1970 30. En tout cas il adopte d’emblée une posture critique vis-à-vis d’une histoire majoritaire qui relève de la « construction blanche et suprématiste » comme l’écrit John Ernest, sapant ainsi les prétentions universalistes du discours historique dominant 31. Le martus remet en cause explicitement la posture « neutre » de l’histôr.

L’histoire peut être « juste » sans abandonner l’objectivité. Car Brown, même s’il est souvent insuffisamment professionnel, comme l’ont dit Ernest, Hall et tant d’autres, n’a cessé de tenter d’adopter les méthodes nouvelles de l’histoire qui se professionnalise. Établi à Boston dès les années 1850, dans la ville qui alors domine la vie intellectuelle nord-américaine (mouvement transcendantaliste, influence de Harvard), il est au fait de la vie intellectuelle « blanche » de son temps et ne reste pas prisonnier du milieu abolitionniste, au moins intellectuellement. Brown interpelle dans son travail la communauté intellectuelle blanche lorsqu’il critique directement George Bancroft. Mais on peut trouver d’autres traces de cette volonté de faire contact, de se confronter aux idées des intellectuels établis de son temps, voire d’être reconnu par eux, comme s’il se plaçait d’emblée sur un pied d’égalité avec la communauté intellectuelle au sens large, lui qui n’a jamais fréquenté la moindre école ou université. On peut ainsi rappeler que lors de son long séjour à Londres, il s’exprime contre un article raciste de Carlyle 32. Puis dans l’introduction de The Black Man, en 1863, il cite tout d’abord un long article chantant les louanges de ses propres talents littéraires, et paru dans le Scotch Independent à l’occasion de la publication de la première version de son récit de voyage en Europe, Three Years in Europe, paru en 1852 ; rappelant la haute antiquité de la civilisation noire, qui remonte selon lui aux Éthiopiens et aux Égyptiens, Brown parsème ensuite le reste de l’introduction de références cultivées (Hérodote, Hume, Volney, Macaulay), tout en renvoyant également aux intellectuels de Nouvelle-Angleterre Alexander H. Everett et son frère Edward Everett, qui ont marqué la vie intellectuelle et politique du Massachusetts, et des États-Unis, avant la guerre de Sécession 33.

Le plus clair exemple de cette volonté d’inclusion dans le monde intellectuel contemporain reste quand même Three Years in Europe : or, Places I have Seen and People I have Met 34. Les intitulés des chapitres (sans aller plus loin) reflètent un certain goût pour l’étalage de noms de célébrités intellectuelles et politiques : Richard Cobden, Victor Hugo, Émile de Girardin, Tocqueville, Louis Blanc… Quant au texte lui-même, il relate l’accueil chaleureux dont Brown est l’objet en France au moment du Congrès pour la paix en 1849, comme en Angleterre où il est élu membre honoraire du Whittington Club dans lequel, entre autres personnalités, siègent Charles Dickens et William Thackeray. Si la vanité de Brown ressort de certaines pages, il n’en reste pas moins que ce monde intellectuel européen est avant tout le monde des livres et des idées pour Brown, dont on comprend à travers ses ouvrages qu’il est un lecteur avide. Amoureux de culture, la rencontre d’autres intellectuels ou d’artistes est avant tout pour lui le plaisir de débats et d’émotions esthétiques partagés 35. Ainsi sa production historique ne peut-elle s’analyser simplement comme une écriture « de la marge » ; il s’agit aussi d’un travail intellectuel nourri de lectures nombreuses et qui ambitionne de rivaliser avec les grands historiens du temps.

Je serais donc moins critique que John Ernest à son endroit : si Brown n’est certes pas un « historien professionnel », il cherche bien à appliquer les méthodes des professionnels dans ses propres ouvrages. En écrivant l’histoire des Africains-Américains, il s’efforce de combler ce qui lui apparaît, non seulement comme une injustice, mais également comme un manque historiographique, une motivation déjà perceptible chez son contemporain W. C. Nell 36. Il adopte ainsi une démarche « scientifique » au sens où son travail veut compléter la connaissance historique déjà disponible. Un historien « noir » respecte les règles d’une science historique « objective » qui s’établit alors au sein des universités de recherche 37. On doit donc noter le caractère double du travail historique de l’ancien esclave : le souci méthodologique qui l’anime annonce les efforts de George Washington Williams, puis de l’école historique que Carter G. Woodson construit à partir de 1915 et du lancement du Journal of Negro History. S’amorce avec lui (et Nell) une tradition d’objectivité de l’histoire africaine-américaine qui s’épanouit avec John Hope Franklin après la Seconde Guerre mondiale : certes, pour reprendre (et détourner) une expression de John Ernest, Brown n’est qu’un « historien de transition », un autodidacte qui apprend progressivement son nouveau métier. En parallèle de ce souci méthodologique, Brown reste toujours militant, mais ces deux engagements (scientifique, politique) sont tout à fait compatibles. Comme le dira le collectionneur africain-américain Arthur Schomburg en 1925 :

Bien sûr une motivation raciale demeure — légitimement compatible avec la méthode et l’objectif scientifiques 38.

On pourrait même aller plus loin : cette double ambition (scientifique, politique) permet à Brown de révolutionner les bornes et les thèmes du récit historique tel qu’on le conçoit alors dans le monde euro-américain. En s’efforçant toujours de relier l’histoire des Noirs américains à celle des Noirs caribéens (par le biais de l’histoire haïtienne surtout), tout en glorifiant les origines africaines antiques des esclaves, Brown ouvre son récit à une histoire globale, une histoire-monde, un mode d’écriture qui permet aux Africains-Américains de renverser les problématiques et hiérarchies du passé et distingue les historiens noirs américains des historiens nationalistes euro-américains du XIXe siècle. Un « historien noir », ce n’est pas simplement avec Brown un historien qui critique une histoire blanche raciste, c’est également un historien dont le regard porte loin, au-delà des frontières des États-Unis. Avec lui, et d’une autre façon qu’avec Frederick Douglass, apparaît un des premiers « intellectuels » noirs et non pas seulement un « historien noir ».

Les premiers ouvrages de Brown

Le premier texte historique que publie Brown est une histoire de la révolution haïtienne St. Domingo : Its Revolutions and Its Patriots (Boston : 1855), texte de 36 pages qui s’appuie sur une conférence prononcée en 1854, à Londres puis à Philadelphie. Comme l’explique Stephen G. Hall, la Révolution haïtienne, comme la Guerre d’indépendance américaine, est un des tropes principaux de l’histoire africaine-américaine de cette période, et de la vie intellectuelle noire plus généralement : puisque l’une comme l’autre permettent de mettre en valeur l’agentivité de rebelles ou de soldats noirs 39. Brown dit choisir ce sujet car selon lui, aucun historien n’a encore rendu justice à la Révolution haïtienne et à ses héros — c’est évidemment faux car d’Haïti ou d’Angleterre proviennent déjà de nombreux récits valorisant cette Révolution, je ne développerai pas ce point. Mais en insistant sur l’importance d’une histoire d’Haïti écrite par des Noirs américains, Brown va nécessairement permettre une « ré-écriture » de l’histoire des États-Unis au prisme de la diaspora noire des Amériques 40. Dans ce texte, Brown oppose en un saisissant contraste Napoléon->https://fr.wikipedia.org/wiki/Napol%C3%A9on_Ier] et Toussaint Louverture, mettant au jour avec plus d’un siècle d’avance le côté sombre de la geste noire napoléonienne qui n’émerge qu’aujourd’hui pleinement en France 41 :

Toussaint combattit pour la liberté ; Napoléon combattit pour lui-même. Toussaint acquit sa renommée en menant une race opprimée et blessée jusqu’au succès et au rétablissement de leurs droits ; Napoléon se fit un nom et acquit un sceptre en supplantant la liberté et en détruisant les nationalités... 42.

George Washington souffre aussi de la comparaison, puisque le fondateur des États-Unis laissa l’esclavage perdurer 43.

Dans la version publiée de sa conférence, la méthode historique de Brown apparaît cependant balbutiante : Brown ne donne pas les références de ses sources, tout en citant cependant des discours du mulâtre Ogé, qui mourut au début de la révolution pour avoir réclamé l’égalité des droits, des phrases et proclamations des leaders haïtiens Christophe et Toussaint, probablement tirées d’histoires de la Révolution haïtienne publiées dans la première partie du siècle, et peut-être du bestseller de John Relly Beard, publié en 1853 à Londres The Life of Toussaint Louverture : The Negro Patriot of Hayti ; Comprising an Account of the Struggle for Liberty in the Island, and a Sketch of Its History to the Present Period 44 ; il cite également un extrait célèbre de Observations sur l’État de Virginie de Thomas Jefferson dont il ne donne pas non plus les références. Son biographe récent Ezra Greenspan ne donne aucun détail sur le travail de recherche qui avait dû être mené au préalable de ce texte et nous renvoie à des conjectures : il admet qu’il avait sans doute fallu un long travail de préparation à Brown 45. Il n’en reste pas moins que ce petit livre sur la révolte de Saint-Domingue constitue la première incursion de Brown dans le récit historique. Nourri d’histoire antique (Spartacus, Leonidas, Sparte), ce discours très imagé (massacres, destructions du Cap, portraits de figures révoltées marquantes) contribue à une histoire héroïque de la première république noire des Amériques, modèle d’indépendance pour la communauté noire américaine, tout en révélant la plume enlevée de Brown. Mais il vise aussi explicitement à indiquer à la population blanche du Sud des États-Unis ce qu’elle risque si l’esclavage n’est pas aboli ; avant Haïti, il y eut la révolte des Hilotes à Sparte, et Saint-Domingue peut se reproduire en Caroline du sud ou en Louisiane 46. L’histoire est là mise au service d’un discours militant, politique, qui s’impose en 1853, après le passage du nouveau Fugitive Slave Act en 1850, une loi qui accroît les tensions entre Nord et Sud sur l’esclavage 47.

En 1863, Brown publie The Black Man. His Antecedents, Genius, and his Achievements, un ouvrage publié chez Thomas Hamilton, à New York et qui compte 288 pages 48. À l’origine, il s’agissait d’une série de portraits entamée en 1861, destinés au Pine and Palm, le journal de l’émigrationniste James Redpath, lui aussi favorable à Haïti. Deux portraits seulement furent publiés dans le journal 49. Cette série de 53 vignettes biographiques, recensant les grands personnages noirs de l’histoire américaine, de Benjamin Banneker (astronome noir de la fin du XVIIIe siècle) à Sir Edward Jordan (journaliste abolitionniste jamaïcain noir), en passant par Nat Turner et Toussaint Louverture, annonce la floraison d’ouvrages du même genre après la guerre de Sécession, les recueil de vies de Noirs éminents 50. Comme ces volumes ultérieurs, ce livre s’inscrit dans une très longue tradition d’écriture historique, celle des récits de vies illustres qu’avait inaugurée Plutarque dans sa Vie des hommes illustres 51. Le philosophe grec cherchait, à travers une série de portraits de personnalités exemplaires, à fournir des modèles de comportement moral. Pourtant, pour le biographe de Brown Ezra Greenspan, loin d’être un simple recueil hagiographique, l’ouvrage militant présuppose le combat entre « des récits historiques opposés » et propose une histoire très politique, qui s’inscrit en faux contre les théories racialistes alors très répandues aux États-Unis 52.

Le livre de Brown s’ouvre effectivement par un long essai sur les races qu’il avait prononcé le 28 mai 1862 lors de la convention annuelle de la New England Antislavery Society 53. Les Anglo-Saxons sont renvoyés à leurs origines barbares, les racistes nommés et dénoncés (les États du Sud, l’homme politique Stephen Douglass, mais également divers Nordistes dont James Gordon Bennett, et Lincoln lui-même se voit repris) ; les amis des Noirs sont cités (Alexander et Edward Everett) dans un texte qui oppose les commencements primitifs de la race blanche aux réalisations magnifiques de l’Égypte et de l’Éthiopie antiques, un point de vue afro-centrique qui devait plus tard lui valoir des critiques dans la presse blanche 54. Un recueil, dit Lucia Bergamasco, aux accents « proto-nationalistes » — puisque Homère, Platon et Térence sont présentés comme noirs —, mais qui révèle aussi l’érudition de l’ancien esclave, et sa capacité à renverser les constructions de l’imaginaire historique occidental 55. Brown affirme s’être inspiré de sa lecture des archives, qu’il aurait consultées en France et en Angleterre lors de ses voyages, comme d’une visite aux Antilles : mais quelles preuves avons-nous de ces consultations d’archives, et de ce voyage aux Caraïbes ? Dans sa biographie, Ezra Greenspan ne fait jamais mention de visites aux archives, ou d’un voyage aux Antilles 56. Si Brown est désormais conscient des exigences méthodologiques qu’implique l’écriture historique, il n’est pas encore en mesure de les appliquer. Il est cependant prêt, peut-être, à mentir pour mieux convaincre un lectorat qui accorde une grande valeur à l’écrit et au savoir.

En 1867, Brown publie l’ouvrage dont nous avons extrait un chapitre, The Negro in the American Rebellion, his heroism and his fidelity, à Boston, chez Lee and Shepard 57. Il s’agit là d’une véritable histoire des Noirs pendant la guerre de Sécession, et bien plus encore. De plus en plus conscient des exigences méthodologiques de l’écriture historique, Brown indique en préface de quelles sources il s’est servi : un mémoire historique du bibliographe et collectionneur George Livermore (An Historical Research Respecting the Opinions of the Founders of the Republic on Negroes as Slaves, as Citizens, and as Soldiers Read before the Massachusetts Historical Society, August 14, 1862 58), recueil de sources d’environ 150 pages qui avait été publié en 1863, mais également des récits des correspondants de guerre, officiers et simples soldats des régiments « de couleur » pendant la guerre de Sécession 59. Comme dans le cas de la révolution haïtienne, William Wells Brown dit s’être lancé dans la rédaction de l’ouvrage pour combler un manque historiographique : en dépit d’une large production historiographique sur la guerre elle-même, le sujet des soldats noirs dans la guerre de Sécession n’était pas suffisamment couvert 60. Brown s’était justement passionné pour ce conflit qui concernait au premier chef sa communauté.

Le livre, composé de 45 chapitres et de 380 pages, constitue bien une histoire complète des Africains-Américains, puisque les six premiers chapitres sont consacrés à l’histoire des Noirs aux États-Unis, entre esclavage, révoltes et culture du coton, avant que l’histoire de la guerre de Sécession soit abordée. Si Brown n’adopte pas encore un système de notes régulières, il cite constamment historiens et mémorialistes : pour la période révolutionnaire et la guerre de 1812 sont convoqués George Bancroft, l’académicien français Chastellux, l’histoire du Rhode Island d’Arnold, le journal de Frank Moore (une source de l’histoire révolutionnaire américaine), des proclamations du président Andrew Jackson, et des extraits de journaux anciens (Niles Weekly Register). Les talents de narrateur de Brown se déploient au fil de chapitres où sont reconstitués des dialogues entre personnages historiques (Madison Washington, un des esclaves mutins qui mena le navire Creole à la liberté en 1840, et son maître, par exemple) et où il peint des portraits haut en couleur (Susan, femme de Madison) ou des scènes d’action (Madison s’empare d’un navire). Pour le chapitre concernant l’abolitionniste extrémiste John Brown, il cite une lettre d’un des « martyrs » noirs qui l’accompagnèrent à Harper’s Ferry. Cette même tendance à la citation de documents entiers (déjà présente chez Nell et encore très repérable plus tard chez G. Washington Williams) apparaît dans les chapitres qui portent sur la guerre de Sécession elle-même : proclamations, extraits de journaux et magazines, poèmes et chansons entiers. À l’heure où s’organisait partout dans le monde occidental une histoire professionnelle, très pénétrée de l’importance des documents et archives officielles, Brown écrivait une histoire « populaire », qui n’était pas conforme aux codes de la discipline, mais qui mettait les Africains-Américains au centre du récit.

Le chapitre choisi

L’extrait que j’ai choisi pour l’anthologie révèle bien les qualités littéraires de Brown (au XIXe siècle, des historiens comme Bancroft se considèrent aussi comme des hommes de lettres), mais également sa philosophie de l’histoire 61. Brown lui-même n’était pas à Washington, D.C. le 1er janvier 1863, au moment où la Proclamation d’émancipation entra en vigueur. Il ne s’y était d’ailleurs jamais rendu. Il était à Boston, où il habitait, et continua à résider jusqu’à sa mort. Il passa la nuit du 31 décembre, puis la journée du 1er janvier, dans l’église baptiste de Tremont Temple qui était fréquentée par une congrégation multiraciale. Il fait d’ailleurs référence à cette église dans ce passage : à l’annonce de la nouvelle de la Proclamation, Frederick Douglass lui aussi présent se mit à chanter un gospel « Voici venu le jour du jubilé 62 ». Pourtant on lit le chapitre comme s’il s’agissait du compte rendu d’un témoin de la scène, et les talents de conteur de Brown s’épanouissent pleinement dans ce chapitre, bien plus en phase avec les réflexions actuelles sur l’écriture historique qu’avec les modèles du XIXe et du XXe siècle de rédaction scientifique de l’histoire 63

Nous sommes à Washington D.C., dans la nuit du 31 décembre 1862 au 1er janvier 1863 : dans le « contraband camp », camp d’esclaves réfugiés dirigé par un certain Dr. Nichols, les nombreux esclaves fugitifs réfugiés à Washington — la capitale jouxte deux États esclavagistes, la Virginie et le Maryland — s’apprêtent à fêter ce qui leur paraît à juste titre annoncer leur libération prochaine. Effectivement, la Proclamation d’émancipation qui va prendre effet le 1er janvier 1863 abolit l’esclavage dans les États du Sud, et par extension, annonce la fin de l’esclavage partout aux États-Unis. Comme il l’a fait vingt ans plus tôt dans son récit de fuite, Brown reproduit des chants d’esclaves (« Descends, Moïse »), mais il plonge aussi le lecteur plus largement dans l’atmosphère émouvante de cette population de réfugiés, auxquels il donne la parole à travers quelques figures hautes en couleur : un vieux prédicateur noir, une femme agenouillée, un fugitif malin (« intelligent »), un autre fugitif du nom de George Payne. À la fin du chapitre, ces diverses voix s’unissent pour un gospel juste avant l’heure fatidique, elle-même suivie d’un autre chant, mi-gospel, mi-chant patriotique. Le chapitre se clôt sur le texte de la Proclamation d’émancipation puis sur un poème de la poétesse et écrivaine noire Frances Harper : il y a tant de chants et de poèmes que la narration historique s’efface derrière une vision lyrique et poétique de ce tournant dans l’histoire des États-Unis. Si le texte complet de la Proclamation d’émancipation est reproduit (avec des erreurs d’ailleurs) juste à la fin du chapitre, disparaît la figure de Lincoln, pourtant auteur de la Proclamation, et celui qui la met en œuvre 64. De manière fort subversive, le texte, qui concrétise la libération des esclaves, leur est rendu : Lincoln n’est pas absent du chapitre, mais sa personne n’est pas héroïsée, et le chapitre est mis au service d’une histoire « depuis le bas ». Brown a pour objectif de valoriser les pauvres réfugiés, dont le sort importe avant tout. Le reste du livre ne porte pas simplement sur les régiments noirs, ou les individus noirs héroïques, mais également sur les fugitifs des débuts de la guerre (« contraband »), le rôle émancipateur des généraux de l’armée de l’Union et la conduite de la guerre, et les mesures progressives d’émancipation.

Le dernier ouvrage historique de Brown

En 1870, Brown publia The Rising Son ; or, The Antecedents and Advancement of the Colored Race, à Boston un ouvrage de 552 pages. La préface pose bien une des problématiques centrales de l’histoire africaine-américaine, la recherche de sources, chantier auquel s’attachèrent plus tard George Washington Williams, mais surtout Carter G. Woodson et ses disciples, et qui constitue encore aujourd’hui une des spécificités des études africaines-américaines 65. Certaines vignettes biographiques sont donc « nécessairement brèves ». Pourtant Brown dit s’être efforcé de produire une histoire objective, ce qui révèle sa volonté de se conformer aux canons professionnels du moment :

Il [L’auteur] s’est efforcé de donner un récit fidèle des personnes comme de leurs coutumes, sans dissimuler leurs défauts.

Fidèle à la vision afro-centrique affichée dès The Black Man, cet ouvrage composé de 50 chapitres, fait remonter l’histoire des Noirs américains aux Éthiopiens et aux Égyptiens, et parle de l’Afrique avant de consacrer plusieurs chapitres à Haïti, ses fondateurs et premiers dirigeants — un des thèmes favoris de Brown —, de parler des Caraïbes britanniques, puis de rejoindre l’histoire des Africains-Américains aux États-Unis, de l’esclavage, et de son abolition 66.

Brown s’appuie sur quantité de références, primaires et secondaires, indiquées cette fois-ci en notes de bas de page, ou citées dans le corps du texte ; mais dans la mesure où l’ouvrage ne comprend pas de bibliographie, il n’est pas toujours aisé aujourd’hui de toujours savoir précisément à quoi il renvoie car les notes sont incomplètes, ou partielles : Brown cite Hérodote, la Bible, pour l’Antiquité ; des récits d’explorateurs britanniques (Mungo Park, Livingstone), des revues scientifiques (Methodist Quarterly Review) et des ouvrages savants pour la description de l’Afrique 67 ; Lacroix ou Beard pour l’histoire d’Haïti 68 ; les écrits du missionnaire baptiste James Philippo pour la Jamaïque 69 ; du voyageur anglais John Josselyn pour les premiers temps de l’esclavage en Nouvelle-Angleterre 70 ; le célèbre historien George Bancroft pour l’histoire de la participation noire à la Guerre d’Indépendance mais aussi le journal de Frank Moore sur la Révolution américaine 71. À partir de la page 418, le livre est consacré, à nouveau, comme dans The Black Man, à une série de vignettes biographiques de Noirs éminents, complétée de personnalités plus récentes. Au final les notes restent rares dans cet ouvrage qui tente d’appréhender une histoire aux dimensions globales. Ezra Greenspan rappelle que les ouvrages de Brown furent vivement critiqués par le romancier africain-américain Charles Chesnutt, qui écrivit à la fin du XIXe siècle ; ce dernier les qualifiait de simples « compilations » et appelait de ses vœux une histoire des Africains-Américains enfin véritablement professionnelle.

Pour Greenspan, Brown ne fut effectivement jamais un historien « professionnel » au sens d’« universitaire » :

Il écrivait une histoire de l’expérience des Noirs pour les lecteurs ordinaires 72.

C’était un amateur, un auteur qui retranscrivait son expérience tout en cherchant à l’inclure dans le grand récit d’une histoire des Noirs dont il percevait la dimension diasporique et globale. Au fond, si on suit Greenspan, il serait vain de chercher dans la production historique de Brown le type de méthodes qui s’imposaient alors simplement dans la profession au niveau universitaire, et il serait aisé de la rejeter pour ce motif même : cette approche téléologique dénigre au fond le travail des historiens noirs, comme le rappelle Stephen G. Hall 73. Ce dernier déclare qu’il faut être capable de s’intéresser au travail des historiens noirs « tout en prenant en compte les différentes méthodes auxquelles ils eurent recours pour créer un discours historique, quelles qu’aient été leur formation et les limites de leur passé 74 ». Mais cet avis, au final un peu condescendant, ne rend pas suffisamment compte des ambitions de Brown et de sa capacité à restructurer l’imaginaire historique euro-américain.

Conclusion

Inspiré par sa propre histoire, Brown mena une carrière d’historien amateur et populaire, essentiellement à destination de la communauté africaine-américaine, même s’il était très conscient de la vie intellectuelle « blanche » alors trépidante à Boston, où il habitait, et qu’il aurait aimé partager. Son travail ne pouvait répondre pleinement aux canons que les écoles positivistes et méthodiques établissaient alors dans les universités : pourtant Brown, comme le révèle la lecture de ses ouvrages, était un érudit, un conteur, mais au final également un innovateur. Le chapitre sélectionné pour l’anthologie révèle la capacité de Brown à écrire l’histoire « depuis le bas », à mettre de côté les grands hommes pour braquer les projecteurs de l’histoire sur les humbles, les femmes, les sans-grades, et utiliser les reconstitutions imaginaires, la poésie, pour redonner vie à des scènes dont peut-être personne n’avait conservé de traces.

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